Depuis 2008, à travers un travail collectif de l’agence et grâce à de nombreuses collaborations, nous cherchons à insuffler une utilité et une expressivité singulière à chacun de nos projets. Récemment, un travail sur le rapprochement entre nature et architecture nous a permis d’envisager le bâtiment comme un écosystème qui accueille le vivant, mettant ainsi en valeur sa faculté à porter son propre paysage. C’est en considérant la lisière – cet entre-deux – comme le lieu d’un renouveau collectif que, malgré une pratique de plus en plus normée, nous cherchons à initier des parcours, à engendrer une certaine permissivité d’usage dans chacune de nos réalisations.
C’est dans cet esprit que nous nous réapproprions les mots de Lina Bo Bardi pour qui « l’Architecture se situe quelque part entre le service collectif et la poésie ».
En 2014, l’agence ChartierDalix livre le groupe scolaire de Boulogne, dont la paroi de blocs de béton de parement sert autant de support au développement d’une végétation spontanée que d’abri pour une faune attendue sur site. La morphologie du mur, bien que très spécifique, est conçue dans le cadre réglementaire d’un appareillage maçonné traditionnel adossé à un voile béton.
Alors même qu’aujourd’hui, compte tenu des exigences environnementales, la construction a tendance à superposer des couches monofonctionnelles (structure/isolant intérieur ou extérieur/vêture, etc.), il nous semble important de considérer la paroi comme un système plus unitaire qui pourrait aussi accueillir le substrat et les formes nécessaires à l’accueil de la faune associée.
Nos premiers prototypes permettent de tester le matériau béton et ses capacités à incarner l’ensemble des propriétés étudiées : isolation/structure porteuse/inclusion d’un réseau de substrat/surface poreuse pour expression du végétal et inclusion de nichoirs.
En 2017, la visite du laboratoire de recherche et développement de CEMEX nous offre la possibilité d’expérimenter différents types de béton en intégrant des poches de substrat et des négatifs pour figurer les différents accidents ou reliefs susceptibles d’accueillir faune et flore en façade.
Nous rapportons à Paris le premier prototype baptisé FAIRE : coupé en deux au labo, il nous permet d’observer l’évolution des semences dans le réseau formé par les boules de terre.
Au printemps 2018, nous nous rapprochons de l'artiste Maurizio Montalti, dont le travail est axé autour du mycélium, appareil végétatif du champignon qui assure plusieurs fonctions biologiques. Intégré dans nos prototypes, nous testons son potentiel bio-régénérant.
Ensemencés par Topager (entreprise du paysage urbain), nos prototypes se mettent à « vivre ». Accompagnés par le Muséum national d’Histoire naturelle et l’ARB (agence régionale pour la biodiversité), nous observons leurs évolutions et évaluons leur capacité à se régénérer dans le temps.
Dans la poursuite de notre projet lauréat de « FAIRE » (appel à projet lancé en 2017 par le Pavillon de l’Arsenal), nous souhaitons trouver une opportunité de développement en appliquant notre recherche à la fabrication d’un pavillon, d’un petit bâtiment ou d’un élément de façade de grande taille.
Parallèlement, nous accueillons depuis octobre 2019 une doctorante (thèse Cifre), Delphine Lewandowski, au sein de notre pôle Recherche, en collaboration avec le Museum d’Histoire Naturelle et le laboratoire GSA (Géométrie Structure Architecture), pour explorer les nouvelles pistes techniques, esthétiques et les nouveaux matériaux que nos murs biodiversitaires impliquent1.
Entre 2020 et 2021 la poursuite de notre recherche trouve son application dans deux projets distincts :
- La mise au point d’une vêture béton biodiversitaire sur le projet de siège de l’APHP avec l’entreprise CBC.
- L’élaboration de trois murs prototypes grande hauteur en éléments de maçonnerie.
Il s’agit d’une nouvelle typologie de système de végétalisation verticale destiné à favoriser la biodiversité en ville dense en accueillant une faune et une flore locales et indigènes. Il s’agit, plutôt que d’un jardin vertical tout couvert généralement composé de plantes exotiques, d’un mur habité avec une qualité architecturale unique, qui donne l’opportunité aux plantes de s’installer durablement et qui est plus autonome que les systèmes hydroponiques de murs végétalisés.
L’originalité de ce système par rapport aux systèmes de végétalisation verticale existants est la continuité d’un réseau de substrat à l’intérieur d’un mur autoportant. Le substrat est protégé par une couche surfacique épaisse d’une dizaine de centimètres et percée de cavités dans lesquelles les plantes se développent.
La conception du réseau continu de substrat dans le mur, vise à la fois la continuité écologique d’un substrat « vivant », et la rétention de l’eau, afin de permettre aux plantes de s’y développer de manière pérenne, grâce à un espace plus grand dédié aux systèmes racinaires.
Il s’agit d’un système tri-couches composé de :
1) Une couche surfacique perforée avec des percements en forme de cuves permettant d’accueillir les espèces végétales et animales et de retenir l’eau et la matière
2) Une couche continue de substrat plus ou moins tortueuse avec une forte rétention d’eau
3) Un mur porteur isolé du reste du système, dont la géométrie peut aider à porter la couche de substrat.
Le système est conçu pour fournir les conditions techniques et biologiques favorables à l’accueil - au développement, à l’installation durable, à la régénération - de la biodiversité. Il est basé sur le cahier des charges décrit ci-dessous :
La continuité du substrat dans le mur :
- Permet aux systèmes racinaires des plantes d’avoir suffisamment d’espace pour se développer et se maintenir.
- Avec un volume de substrat disponible, elle offre suffisamment de réserves en éléments nutritifs minéraux et en eau disponibles pour les plantes.
- Peut accueillir un plus large panel d’espèces végétales que les murs végétalisés existants sur le marché.
- Permet aussi un écoulement suffisamment « lent » de l’eau à l’intérieur du mur afin de nourrir les plantes par capillarité.
- Favorise la régénérescence du milieu artificiel : le volume de racines favorise la richesse de la vie du sol (micro et macrofaune) et la création de biomasse (processus d’excrétion racinaire).
La couche surfacique du mur :
- Isole le substrat de l’air extérieur et le protège des chocs thermiques (sécheresse/gel) et de l’évapotranspiration (exposition non directe à l’atmosphère).
- De la même manière, elle permet la condensation et la rétention de l’eau dans la couche de substrat pour nourrir les plantes par capillarité.
- Accueille les espèces végétales et animales. Les cavités de la couche surfacique du mur mettent en connexion l’air extérieur et le substrat et donnent un accès aux plantes à l’eau et la lumière. En formes de cuves, celles-ci permettent de retenir l’eau et de limiter l’érosion du substrat disponibles pour les plantes.
Le substrat :
Le substrat est un substrat léger, mais avec une partie organique riche, déjà très répandu dans la végétalisation des toitures.
La communauté végétale :
La communauté choisie pour le mur privilégie les plantes indigènes et locales d’Ile-de-France xérophytes (qui nécessitent peu d’entretien et résistantes à la sécheresse), vectrices d’une biodiversité locale. Selon l’orientation et l’humidité du mur (bas ou haut du mur), on pourra privilégier certaines espèces muricoles connues pour pousser sur les vieux murs, ou herbacées de sous-bois.
2010 – 2014 : études et réalisation du projet de l'école des Sciences et de la Biodiversité, Boulogne-Billancourt (92)
2017 : lauréat du projet FAIRE (Pavillon de l'Arsenal) pour une recherche sur l’accueil du vivant en architecture. En partenariat avec Philippe Clergeau, du Museum national d'histoire naturelle, Marc Barra de l’Agence Régionale pour la Biodiversité et l’entreprise TOPAGER
Novembre 2017 : premières expérimentations avec des prototypes en béton réalisés en parteneriat avec l'entreprise CEMEX dans son laboratoire R&D en Suisse. Les prototypes sont rapportés à Paris et ensemencés par TOPAGER
Mars 2018 : ateliers Mycelium en collaboration avec l'artiste Maurizio Montalti, pour exploiter le potentiel bio-régénérant de ce matériau vivant dans nos prototypes
Août 2019 : lauréat du projet de l’APHP en conception-réalisation avec l’entreprise CBC et début de l’expérimentation à grande échelle d'une vêture béton vivante de 390 m²
Septembre 2019 : publication du livre Accueillir le vivant : l'architecture comme écosystème
Octobre 2019 : démarrage de la thèse Cifre de Delphine Lewandowski sur les parois biodiversitaires, sous la direction de Robert Le Roy (laboratoire GSA-ENSA Paris-Malaquais) et Philippe Clergeau (CESCO-Museum national d'histoire naturelle)
2020-2021 : réalisation d'un pavillon présentant six prototypes maçonnés, de trois materiaux - brique monomur, brique pleine, pierre sèche - installés dans l'enceinte du Muséum national d'histoire naturelle. Récolte de données sur l'installation du vivant / réalisation des prototypes de la paroi du siège de l'AP-HP
Mai - Octobre 2022 : présentation d'un pavillon pour la Métropole du Grand Paris dans le cadre de la Biennale d'Architecture et de Paysage de l'Île-de-France à Versailles
Juillet 2022 : livraison du siège de l'AP-HP
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1. Vers une conception biodiversitaire des façades. Propositions techniques et recommandations professionnelles, Delphine Lewandowski, sous la direction de Robert Le Roy (laboratoire GSA-ENSAPM) et Philippe Clergeau (CESCO-MNHN).