Article de Philippe Clergeau preface-philippe-clergeau-00
Les jardins suspendus de Babylone, gravure de Jean-Antoine Valentin Foulquier, 1867.

La nature dans la ville ou la ville dans la nature, la question n’a plus grand sens aujourd’hui. Nous sommes en train de changer le paradigme de conception urbanistique, aussi bien à l’échelle du bâti qu’à celle du projet urbain. Même si les collectivités semblent encore bien frileuses à ouvrir leurs appels d’offres aux questions écologiques, les entreprises privées, d’une part, et les concepteurs architectes, paysagistes, urbanistes, d’autre part, sont de plus en plus nombreux à tenter d’intégrer le vivant dans leurs projets. Certes, l’image de communication et l’esthétique du cadre de vie dominent largement, mais la végétalisation a clairement pris un sens de service rendu à la collectivité. Les arbres et les plantes rafraîchissent l’atmosphère, régulent la pollution particulaire, absorbent les eaux de pluie, améliorent notre santé, favorisent le développement de liens sociaux. Aujourd’hui, la demande sociétale de nature de proximité et de qualité de cadre de vie remet en cause les conceptions artistiques et les organisations urbaines complètement minérales. L’histoire des lieux, la densification et les perspectives ne sont plus les seuls maîtres mots du concepteur ! La mobilité automobile n’est plus un des critères dominants du projet et la libération progressive des espaces publics par les voitures ouvre un immense champ des possibles !

Un autre enjeu se dessine, porté par les écologues et récupéré très (trop) rapidement par les décideurs. C’est celui de la biodiversité. La biodiversité, c’est une richesse en espèces, mais surtout un tissu de relations entre ces espèces et avec leur environnement. Protéger, restaurer, créer de la biodiversité, c’est donc avant tout prendre en compte les processus écologiques (les chaînes alimentaires, les dispersions d’espèces, le mutualisme, etc.). Favoriser la biodiversité plutôt que continuer à végétaliser avec des espèces exotiques (ce que nous savons bien faire) permet non seulement d’inscrire la ville dans le fonctionnement écologique régional, mais aussi de viser une durabilité du système. Un ensemble cohérent d’espèces est moins sensible à des accidents climatiques ou sanitaires et demande moins de jardinage (couvre-sol retenant l’humidité, buissons accueillant des animaux, etc.). Il faut tendre vers la création d’écosystèmes !

L’originalité de ChartierDalix est d’avoir, dès sa création en 2008, voulu intégrer le vivant dans sa réflexion et dépasser un simple verdissement du projet. Peu d’agences d’architectes ont investi autant en R&D et diffusé leurs résultats régulièrement. La démarche que porte ChartierDalix est progressive, à l’image d’une recherche scientifique. Elle est donc balisée par de grandes étapes de production, dont l’école de la Biodiversité à Boulogne-Billancourt est un jalon exemplaire. Ne pas livrer quelque chose de fini mais en devenir est typiquement de l’ordre de la dynamique du vivant. En rendant possible l’installation spontanée de végétaux sur une façade pleine d’interstices, de creux et de cavités, l’agence a franchi un pas important, peu exploré en architecture, qui est celui de l’incertitude liée à l’évolution temporelle du projet et de ses pratiques. Mais la réflexion se poursuit, afin de proposer d’autres types de façades encore plus à même d’être biodiversitaires.

La recherche en cours qui nous est présentée en fin d’ouvrage a rassemblé des paysagistes, des écologues, des spécialistes des matériaux et va se prolonger dans le cadre d’une thèse qui cherchera à valider le fonctionnement d’un mur dans une complexité biotechnique (quelles espèces végétales ? quels matériaux supports ? quelle durabilité du système en autonomie ? etc.), toujours dans une tentative de limiter l’empreinte écologique et dans une perspective de transition environnementale indispensable. Les fonctionnements à grande échelle sont aussi interrogés et les préoccupations de corridors écologiques sont clairement posées dans des projets comme celui de la gare de La Courneuve…

ChartierDalix fait partie des acteurs qui sont en train d’inscrire le vivant comme élément fondamental de notre société urbaine de demain.