Depuis la livraison en 2015 de l'école de la biodiversité, le bâtiment a mûri, les milieux ont évolué, les élèves et les enseignants se sont appropriés le site et y ont développé de nouveaux usages. Au cours des cinq années qui ont suivi la réalisation, la gestion était essentiellement tournée, avec succès, vers le maintien et la pérennisation des milieux écologiques mis en place. En 2020, l’enjeu est d’accroitre le potentiel biologique de tous les milieux présents (prairies, bois et façades) par l’utilisation de techniques du génie écologique appliquées de manière innovante à l’architecture. L’opération menée est une expérimentation nouvelle, adaptée à ce projet unique qu’est le groupe scolaire de Boulogne.
Pour un aménagement réalisé ex-nihilo, les premières années sont consacrées à l’installation d’un milieu prairial pérenne. La prairie initiale a été semée en 2015 et s’est bien maintenue depuis. Notre objectif est de favoriser la diversification des espèces de la prairie et de faire évoluer le fond floristique vers une plus importante quantité d’espèces vivaces, florifères, locales et adaptées aux conditions du site. Pour ce faire, nous avons identifié à seulement 10 km, de magnifiques prairies sèches marnicoles historiques au domaine national de Marly-le-Roi. Avec l’accord d’Alain Baraton, jardinier en chef du domaine de Versailles, nous avons sélectionné une parcelle en tant que « donneur idéal » pour Boulogne. La prairie donneuse a été choisie pour son exceptionnelle richesse floristique et la compatibilité avec les conditions qui seront rencontrées sur la toiture de Boulogne. En juin puis en juillet 2020, nous avons successivement collecté à la main les graines des espèces les plus précoces (sauge des prés, brome érigé, amourette) puis nous avons fauché en équipe à la main ces mêmes prairies. L’enrichissement de la prairie de Boulogne est réalisé en une à deux saisons de foin et ne devrait ensuite plus jamais nécessiter de réensemencement. C’est le suivi des indicateurs biologiques, associé à un plan de gestion précis qui permettra d’évaluer le succès de l’opération et de préciser les éventuels ajustements dans les pratiques.
À l’origine, les arbres avaient été plantés en étant très serrés et leur manque d’ampleur faisait plutôt penser à une forêt de « cure-dents » qu’à un véritable boisement. Aujourd’hui quand on arrive dans le cœur boisé, on est dans un espace magique : on est en plein bois à 14 mètres de haut. La fraîcheur qui vous saisit est véritablement celle d’une petite forêt, l’ombre et la lumière jouent avec les feuillages et la cime des arbres culmine à 7 ou 8 mètres, ce qui leur donne une vraie ampleur de jeunes arbres, denses et pleins de vigueur. Mais le sol s’est tassé et le sous-bois (fourrés, plantes tapissantes, etc.) a du mal à s’implanter dans un contexte « concurrentiel. »
Les connaissances sur la vie des sols en contexte urbain ont évolué depuis la livraison du bâtiment tout comme les filières de distribution de plantes indigènes. Nous voulons améliorer ce milieu dans toutes ses composantes pour un faire un ilot d’écosystème fonctionnel à toutes les strates qui profitera aux espèces fréquentant les houppiers des arbres, mais également celles qui utilisent le sous-bois pour y trouver refuge ou s’y nourrir au sol comme c’est le cas du merle noir ou du rougegorge familier. Ces espèces, évoluant à hauteur de vue des enfants, permettront des observations naturalistes qui seront la base d’un projet pédagogique.
La façade de blocs de béton est une recherche que l’agence a menée pour favoriser toutes les conditions d’implantation de la faune et de la flore dans le temps. L’ensemble est une composition de blocs qui se décalent, se superposent, créent des surplombs, des débords, des anfractuosités… Tout un vocabulaire de niches et de fissures propre à l’installation des espèces spontanées. Le béton, très proche de la pierre a permis cette diversité qui nous a même permis d’inclure une grande quantité de nichoirs dont certains ont bel et bien été colonisés par les passereaux comme les mésanges bleues et charbonnières ou les rougequeues noirs. Mais par-dessus tout, le temps et le vieillissement à l’œuvre sur ce mur, seront les garants de sa colonisation : c’est une nouvelle façon de voir l’architecture, de l’appréhender à l’échelle du vivant.
À la livraison, le pH du béton était très alcalin, incompatible avec la colonisation végétale. Il faut attendre plusieurs années que le processus de décarbonatation s’établisse et rende les conditions plus propices. En 2020, nous avons observé pour la première fois le développement de voiles d’algues terrestres unicellulaires sur les blocs, ainsi que l’implantation des premiers lichens incrustants sur le mortier, indices que le temps de l’ensemencement peut maintenant venir. Ce bâtiment conservant sa fonction de laboratoire du vivant, nous avons lancé une expérience de végétalisation des façades basée sur l’observation de la flore des vieux murs. Nous avons collecté des graines de végétation indigène en Ile-de-France sur des dizaines de sites colonisés par la flore des parois (Cymbalaires des murs, Centranthes rouges, Campanules à petite feuilles, Porcelle enracinée, sédums, etc.). En parallèle, nous avons prélevé et analysé des petites quantités de microsols pour connaitre les conditions dans lesquelles se développe cette flore et réaliser des technosubstrats qui miment le mortier dégradé des vieux murs colonisés. Ce sont ces substrats et ces graines que nous tentons d’implanter pour accélérer le processus de colonisation des parois du bâtiment.
A la rentrée 2020, nous avons réinvesti le toit de « notre école » durant une semaine, et de manière résumée, voici ce que nous avons effectué par étapes :
Décompaction manuelle des terres du boisement, apport de feuilles et d’échantillons de sol forestier, plantation de couvre-sols indigènes issues du label Végétal Local.
Enrichissement de la palette végétale indigène de la prairie par la technique de réensemencement « Fleur de Foin » issu de Marly-le-Roi avec l’aide enthousiaste des enfants de l’école.
Ensemencement des façades à l’aide d’une nacelle : 600 litres de substrat ensemencé de milliers de graines ont été insérés dans les interstices des blocs de trois façades du bâtiment.
Lors de cette semaine d’action, nous avons questionné et mobilisé les équipes pédagogiques de l’école afin de participer concrètement aux actions projetées.
Cette démarche allait très heureusement de soi. En effet, le toit est un lieu pleinement investi depuis sa création, il n’a pas fallu grand-chose pour déclencher l’envie et l’enthousiasme.
Les élèves, accompagnés de leurs professeurs, ont ainsi contribué activement aux plantations dans le sous-bois : sous la direction des jardiniers, les enfants ont creusé, planté et arrosé les plants en prenant conscience de leur fragilité. L’étalement du foin a été l’objet d’une action collective très festive tout en restant efficace et les tempéraments de chacun se sont révélés à cette occasion. Nous avons observé une jeune génération d’acteurs volontaires et très conscients des enjeux liés à la nécessité de la gestion et préservation de la biodiversité.
Les espaces de cette toiture ne répondent ni au modèle horticole, ni à celui des toitures à végétation spontanée. Il s’agit là d’une approche unique, issue du génie écologique, à laquelle ni l’entretien classique, ni les choix non interventionnistes ne correspondent. Ces espaces ont aujourd’hui entamé une dynamique qu’il faut accompagner et enrichir en lien avec les attentes des usagers. Il reste encore des actions, des modalités de faire et des protocoles de suivi à instituer pour faire avancer au-delà de ce seul périmètre.
C’est un système de vie dans la ville et des équilibres que nous expérimentons. La démarche est ancrée. Nous en sommes heureux. Nous souhaitons continuer à porter une multiplicité de regards et d’intérêts à ce projet qui va au-delà du périmètre de l’école. C’est un premier pas, un premier laboratoire vivant et une expérimentation qui porte ses fruits sur le plan humain, environnemental, social.