Issu de la vision d’une modernité triomphante, la Défense est un quartier d’affaires d’un genre unique planifié ex nihilo, une infrastructure économique totale érigée sur dalle. Certains aspects de son modèle paraissent désormais obsolètes. Les tours sont devenues les symboles d’une économie organisée en grandes entreprises hiérarchisées et étanches. Le quartier souffre d’un manque d’ancrage local et d’accessibilité. Dans un contexte de crises successives (sanitaires, environnementales, économiques et sociales), La Défense questionne et cristallise les doutes d’une société en pleine mutation dont il nous semble essentiel de requestionner les modèles.
La Défense c’est aussi un déjà-là à considérer dans sa complexité, avec ses atouts et ses défauts. La dalle est une véritable géographie artificielle qui déploie 30ha d’espace piéton. Les tours s’inscrivent comme des totems isolés dans ce paysage jalonné des grandes impulsions monumentales que sont le CNIT et la Grande Arche. A l’heure où les émissions du secteur de la construction pèsent pour un quart du bilan mondial, il est essentiel de composer avec cet héritage, dont le bilan carbone est déjà grandement amorti. Réparer et stimuler plutôt que détruire et reconstruire : c’est un modèle de résilience qu’il faut inventer ici.
L’avenir de la Défense réside dans sa capacité à accueillir une pensée collective et évolutive, à l’image d’une société en quête de lien et de sens. Notre proposition est un système souple capable de se diffuser, de laisser place à l’imprévu, à l’aléatoire et de remettre les interactions humaines au cœur du dispositif.
Nous imaginons une méthode qui repose sur une série d’interventions opportunistes et constitutives d’un tout. Elles répondent à une série d’enjeux : démultiplier les potentiels de connections, offrir les conditions d’un travail ré-humanisé, amarrer l’infrastructure à son environnement proche pour faire de La Défense une nouvelle centralité hybride.
Il s’agit de refaire de l’avant-garde un moteur de l’imaginaire plutôt que d’essayer de normaliser l’utopie, rendre la verticalité attractive dans une expérience originale et à l’air libre de la ville. Avec à peine le coût d’une nouvelle tour on pourrait créer un univers, inventer une nouvelle psychogéographie pour La Défense.
Les piles sont des interventions ponctuelles minimales à l’effet maximal. Structures légères et élancées, elles permettent de démultiplier de manière exponentielle les flux et connections entre les tours grâces à des passerelles à plusieurs niveaux. La richesse des échanges humains devient un phénomène physique, visible. Le potentiel d’usage de chaque mètre carré des tours est augmenté grâce à la mutualisation possible de nombreux services.
Equipées de noyaux verticaux, d’escaliers, de jardins et terrasses suspendues, elles sont en quelque sorte une externalisation partagée de nouveaux besoins capables de répondre aux attentes d’un travail ré-humanisé : espaces de respiration végétalisés accessibles, nouveaux services en hauteur rendus possibles par les nouveaux flux (auditorium, restaurant, business center) ; décloisonnement vertical de la valeur. Elles proposent une véritable alternative aux solutions de restructuration lourdes ou démolition-reconstruction des tours. Un stimulus, un appui léger aux colosses de béton et de verre.
Ce sont enfin des relais environnementaux discrets, capables de capter et de stocker l’eau de pluie grâce à un système d’éoliennes intégrées, et de la restituer en irrigation de jardin verticaux refuges de biodiversité, et en rafraichissement local et brumisation jusqu’au contact avec la dalle.
Dans la compétition internationale des quartiers d’affaire, La Défense est à part. C’est le seul territoire « île », construit ex-nihilo loin du centre historique de Paris, indépendant de la structure urbaine générale. La Défense est un organe de la métropole mais c’est aussi potentiellement une nouvelle centralité, renforcée par l’arrivée imminente du Grand Paris express. La liaison Est-Ouest existante doit être complétée par un nouvel axe nord/sud.
Les Portes sont des infrastructures de liaison radicales et visibles capables d’ancrer La Défense dans son environnement proche, un territoire d’un demi-million d’habitants. Ce sont des lisières entre deux mondes où l’ascension devient désirable. Elles sont positionnées stratégiquement à la jonction des axes structurants de Puteaux et Courbevoie et proposent une montée en pente douce autour d’un bâtiment public multi-usages. En se connectant localement, La Défense devient une centralité hybride ou culture et loisirs colonisent les interstices temporels et physiques laissés par l’activité tertiaire - de nouvelles chronotopies s’installent.
Pensées comme de véritables agoras publiques, les Portes accueillent une série de programmes en interface avec les villes limitrophes : mobilités douces, équipements publics, sport, commerces de proximité, etc. Elles permettent ainsi un accès direct au système.
Il faut renaturer La Defense. A l’heure où toutes les métropoles piétonnisent leur espace publique, il est important de souligner les qualités d’usage intrinsèques d’une esplanade sans voiture aux dimensions hors normes. Plutôt que de vouloir la végétaliser intégralement en limitant son potentiel d’usage, nous proposons de coloniser la dimension verticale du système autrement que par les tours.
Ainsi les jardins sont des folies végétales implantées le long de l’Axe et permettent d’accéder au réseau. Ce sont des attractions gratuites et ludiques car ils valorisent la déambulation, l’ascension et l’exploration. Lors de grands évènements sur le parvis, ils servent de lieux de regroupement où la foule peut profiter du spectacle.
L'histoire de La Défense avec ses strates superposées inspirées des utopies du siècle dernier n'est plus vécue comme un lourd passé à effacer : elle est au contraire augmentée et parachevée. L’expérience de la ville verticale est célébrée comme un cadre de vie humain et original.
Un réseau de passerelles donne corps à l’ensemble des actions et bouleverse les parcours du quotidien. Il s’agit de créer des fractures internes, de retrouver de la porosité au cœur de la grande infrastructure de La Défense. Transformer les flux c’est transformer la ville : par la démultiplication des liens, c’est une diversité des parcours, la surprise du détour que l’on retrouve. Nous souhaitons réintroduire ici de l’aléatoire. On navigue alors entre les tours comme au sein d’une canopée. Il s’agit de valoriser le temps interstitiel par l’improvisation. Tours réhabilitées, piles, portes et jardins sont connectés au sein d’un système qui valorise une créativité ordinaire en faisant la part belle aux mobilités douces.